Entre les objectifs de l’Organisation maritime internationale et la future Conférence des Nations unies sur l’océan, la décarbonation du transport maritime est au centre de l’attention. En charge du ministère des Transports depuis décembre, Philippe Tabarot suit le sujet de près. Pour « le marin », il revient aussi sur la fin partielle des exonérations de charges, la compétitivité des ports ou encore le dumping social. Entretien.
Objectifs de décarbonation de l’Organisation maritime internationale (OMI), fin partielle des exonérations de charges pour les armateurs, fléchage des revenus de la taxe carbone européenne sur les navires, grèves dans les ports français, dumping social, Conférence des Nations unies sur l’océan en juin à Nice (Unoc)… Le ministre chargé des Transports, Philippe Tabarot, revient sur les principaux enjeux pour le transport maritime français dans un entretien exclusif au marin.
L’OMI vient de conclure un épisode capital pour tenir les objectifs de décarbonation du transport maritime fixés en juillet 2023. Êtes-vous satisfait du consensus trouvé ?
J’étais à Londres début avril, pendant cette négociation cruciale mais difficile, pour porter la voix de la France et de l’Union européenne. Malgré des positions divergentes entre certains États clefs du commerce mondial, nous avons pu trouver un accord. Il est historique. Pour la première fois, les navires de commerce les plus polluants vont payer pour les émissions qu’ils émettent au niveau mondial. C’est une excellente nouvelle pour nos entreprises maritimes françaises et européennes. Le cap de la décarbonation est maintenu à travers la confirmation d’un objectif de neutralité carbone des navires d’ici 2050, et nous disposons désormais d’un mécanisme pour y parvenir. En fixant les mêmes règles pour tout le monde, les efforts pour préserver la compétitivité de nos navires ont payé. Nos navires français et européens sont déjà soumis à une tarification de leurs émissions depuis 2024, et sont donc de fait soumis à un cadre environnemental plus vertueux. L’ensemble des navires sera dorénavant soumis aux mêmes règles. Il y aura de nouvelles discussions à l’automne qui devront confirmer ces résultats. Il ne faut surtout pas relâcher nos efforts. La Conférence des Nations unies sur l’océan (Unoc), en juin à Nice, est une vraie opportunité pour maintenir la mobilisation des États en vue de l’adoption définitive de l’accord en octobre. J’ai bien l’intention d’y porter ce message et de continuer à mobiliser mes homologues dans les prochains mois.
La fin partielle des exonérations de charges a suscité beaucoup d’incompréhensions chez les armateurs. Allez-vous, dans le cadre du prochain budget, comme l’a laissé entendre François Rebsamen à l’Assemblée Nationale, revenir à un dispositif qui intègre tous les types de navires ?
J’ai eu l’occasion de revenir sur ce sujet publiquement à plusieurs reprises. Ces questions renvoient à deux de mes priorités : la compétitivité du pavillon français et la décarbonation – les deux allant de pair. Sur les exonérations de charges patronales, j’en ai discuté très vite après ma prise de fonctions avec les armateurs qui en ont perdu une partie. Chacun se souvient du contexte difficile des débats budgétaires pour 2025. En octobre 2024, au Parlement, les débats portaient surtout sur le maintien ou non de la taxe au tonnage, appliqué dans plus de 80 % des pays disposant d’une flotte – c’est-à-dire nos concurrents. Il a fallu un long travail de conviction pour sauver ce régime dont dépend l’existence de notre flotte. Pour les exonérations de charges patronales, nous avons réussi à les maintenir pour certaines activités maritimes, mais pas toutes. Il ne s’agit pas d’un bon signal et je souhaite que nous corrigions le tir dès 2026. Cela impacte fortement la compétitivité de certains armateurs innovants, qui sont source d’emplois dans nos territoires. C’est mon objectif pour les négociations budgétaires à venir.
La question du fléchage vers le maritime des revenus des ETS, le système européen d’échange de quotas carbone, est-elle tranchée ? Quels sont les montants que le secteur peut espérer ?
Sur la question du fléchage de l’ETS vers la décarbonation du maritime, nous devons garder en tête qu’au cours de la dernière décennie, les émissions de gaz à effet de serre de la flotte mondiale ont augmenté de 20 %. Nous devons donc, aux côtés des armateurs, accompagner cette transition à quai jusqu’en mer. Selon le rapport Draghi, ce sont 40 milliards d’euros par an qui doivent être mobilisés pour atteindre ces objectifs au niveau de l’Union européenne ; autour de 100 milliards au total pour la France d’ici 2050. La distribution des revenus de l’ETS, auxquels sont soumis nos armateurs depuis l’année dernière, pourrait permettre d’accompagner les acteurs du maritime dans cette transition.
Après un conflit dur, un compromis semble avoir été trouvé pour financer les départs anticipés pour pénibilité des dockers et agents portuaires. Pouvez-vous préciser la solution trouvée ? Quelle politique de relance portuaire envisagez-vous de mener désormais alors que l’image des ports français a été une nouvelle fois écornée ?
Aujourd’hui, l’heure est à la négociation entre les partenaires sociaux : il est trop tôt pour donner le résultat de celle-ci mais je crois en la bonne volonté de chacun pour trouver une solution dans la durée. Concernant les ports, après les multiples crises (covid, conflit russo-ukrainien, droits de douane américains…) qui se sont succédé au niveau international, ma conviction s’est renforcée sur le fait qu’ils ont un rôle clef, avec de forts enjeux de souveraineté pour notre pays en tant que nœuds essentiels de corridors logistiques mondialisés. Par ailleurs, ces dernières années ont été marquées par l’accélération de la transition vers une économie bas-carbone qui, pour les ports, se concrétisera dans les prochaines années par l’accueil de nouvelles industries vertes (nous sommes d’ores et déjà en train de le vivre à Dunkerque, Marseille ou le Havre) ou l’adaptation au déploiement massif de l’éolien offshore. Nous devrons être au rendez-vous de ces opportunités.
Vous avez indiqué vouloir accélérer la lutte contre le dumping social. Après un contrôle sur le transmanche début avril, d’autres sont-ils prévus rapidement ? En Méditerranée, où en est la politique de contrôle ? Comment allez-vous éviter une possible concurrence déloyale du pavillon international italien sur les lignes France-Algérie ?
Dans la Manche comme en Méditerranée, la lutte contre le dumping social, c’est-à-dire les pratiques qui attaquent frontalement le cadre social de nos marins, et plus généralement les entreprises maritimes qui, elles, respectent nos règles sociales, doit être renforcée. En mer, les règles doivent être respectées. J’ai annoncé quatre contrôles pour 2025 sur le transmanche, soit deux par semestre. Nous sommes en voie de tenir cet objectif qui était attendu par tous les acteurs de la filière.
En Méditerranée, où je me rendrai prochainement pour réunir la task force avec les représentants des syndicats et les armateurs, les résultats des premiers contrôles commencent à tomber. C’est positif mais ça ne suffit pas. Nous devons maintenir notre cap pour soutenir nos marins et le modèle social français dans cette zone qui m’est chère. Nous devons, ici aussi, démultiplier le nombre de contrôles pour envoyer un signal fort. J’aurais l’occasion de présenter nos objectifs lors de ma venue.
J’attends aussi beaucoup du dialogue social entre armateurs et syndicats, qui doit nous permettre d’obtenir un levier supplémentaire d’action. Il s’agit d’une chance. Je sais que des discussions sur les conventions collectives sont en cours, elles sont indispensables et je souhaite qu’elles aboutissent rapidement. Enfin, je souhaite instaurer, chaque année, un bilan de ces contrôles, dans la Manche comme en Méditerranée. Le premier devrait avoir lieu en novembre.
L’Unoc en juin à Nice est un rendez-vous très attendu pour la préservation des écosystèmes marins. Quelles sont les ambitions et les attentes de la France ?
L’Unoc est une chance et une responsabilité. Le monde maritime aura les yeux rivés sur nous, à Nice, début juin, et nous devrons faire en sorte que cet évènement de niveau mondial soit un tournant pour la protection des océans et la décarbonation du transport maritime. Comme l’a demandé le président de la République, il nous faut des résultats tangibles sur la décarbonation. En ce qui me concerne, l’objectif que je me fixe, en lien avec mes collègues des autres ministères et les acteurs de la filière maritime, est la possibilité d’accroître les sources de financement pour la décarbonation du secteur maritime français, et de provoquer un effet levier pour accompagner les acteurs privés. Ces synergies sont indispensables pour atteindre nos objectifs : protéger les océans, rester compétitif. Au-delà des engagements des États, c’est tout le secteur du transport maritime et des ports que nous devons mobiliser. L’Unoc doit aussi être un moment clé pour accélérer la transition vers des croisières plus durables, en mettant autour de la table tous les acteurs concernés.