Accord historique à l’OMI avec des objectifs de décarbonation à la hausse

Rédigé le 01/08/2023


 La session jugée cruciale du comité de protection de l’environnement marin (MEPC, le 80e du genre) de l’Organisation maritime internationale (OMI) s’est terminée le 7 juillet en fin de matinée à Londres sur un accord unanime.

 Il revoit à la hausse les objectifs de réduction d’émissions de CO2 et met en place le principe d’une tarification, à définir, sur les émissions de carbone.

L’OMI, dont certains critiquaient la lenteur concernant la décarbonation, a trouvé la voie d’un accord, qu’un bon connaisseur des arcanes de l’organisation, avec qui le marin a échangé, qualifie d’« excellent ». Après des semaines de rumeurs sur un potentiel échec et des appels à un accord en nombre, jusqu’au secrétaire général de l’Onu, Antonio Guterres, personne ne s’attendait à un tel niveau d’ambition affiché dans une négociation aussi complexe.

Pour résumer, le MEPC a d’abord convenu de revoir ses objectifs de décarbonation, calculés par rapport aux chiffres d’émission de 2008. Jusqu’alors, la stratégie de l’OMI, adoptée en 2018, prévoyait une diminution de 40 % des émissions de carbone en 2030 par rapport au niveau de 2008, et de 50 % pour l’ensemble des gaz à effet de serre d’ici 2050. Le texte adopté à l’unanimité le 7 juillet prévoit des niveaux bien plus élevés : 70 à 80 % de réduction des émissions (toujours par rapport à 2008) en 2040, pas si loin des objectifs (83 %) que l’Union européenne, en pointe, proposait à Londres. Pour 2030, le nouvel objectif est de 20 à 30 % de réduction, mais au niveau des émissions globales, ce qui est un objectif supérieur a priori aux 40 % fixés en 2018 car ceux-là prenaient en compte l’intensité carbone à la tonne transportée. Et pour 2050, il cible le net zéro carbone, même si le texte est un peu alambiqué – dixit « vers 2050 dans la mesure où les circonstances nationales le permettent » – car la Chine n’avait pas un mandat clair dans la mesure où sa propre ambition est à 2060. Tous les instruments qui doivent être adoptés visent néanmoins l’objectif de 2050.

 

Étude d’impact de la Cnuced

Justement, le MEPC devait adopter en même temps, au sein d’un panier de propositions, deux instruments pour atteindre ces objectifs, l’un technique, l’autre économique. C’est le mécanisme technique proposé par l’Union européenne, inspiré de son propre règlement FuelEU maritime, qui a été choisi. Il s’appelle GFS ou GHG (pour gaz à effet de serre) fuel standard. Il prévoit de diminuer progressivement l’intensité carbone des combustibles marins, comme cela a été fait avec le soufre. La stratégie adoptée fixe un objectif d’au moins 5 % – s’efforçant d’atteindre 10 % – d’adoption de technologies, de combustibles et/ou de sources d’énergie à émissions de gaz à effet de serre nulles ou quasi nulles d’ici 2030.

L’autre mécanisme, économique, est plus flou à ce stade et évoque une tarification des émissions de gaz à effet de serre, dit carbon levy en anglais. Les mesures envisagées comprennent une taxe directe de 100 dollars la tonne sur les émissions de carbone, proposée par les îles Marshall et les îles Salomon ; un système de taxes avec remise du Japon ; un système de fonds et récompenses de l’organisation d’armateurs International chamber of shipping (ICS) ; et un système d’échange de droits d’émission, les quotas carbone, qu’a adopté l’an passé l’Union européenne. Les gros pays exportateurs comme la Chine, le Brésil, l’Argentine, l’Afrique du Sud sont à l’OMI sur des positions très éloignées des pays du nord, affirmant que des objectifs trop stricts profiteraient aux pays riches et refusant la taxe carbone défendue par la France, la Commission européenne et 21 autres pays lors du sommet sur le nouveau pacte financier de Paris fin juin.

La Cnuced, l’organisation des Nations unies pour le commerce et le développement, sera chargée d’une étude d’impact (comprehensive impact assessment en anglais) pour simuler, pays par pays, les effets de ces deux mécanismes sur les économies. Un rapport intermédiaire sera présenté en avril au prochain MEPC (n° 81) et un rapport définitif fin 2024 au MEPC n° 82. Son adoption en 2025 permettrait son application en 2027, le calendrier le plus resserré possible pour l’OMI.

 

Inquiétudes

Cependant, des inquiétudes ont été aussitôt exprimées sur les difficultés à trouver un accord sur ces mécanismes, l’étude d’impact n’assurant pas de résoudre ce qui a probablement été le problème le plus controversé cette semaine entre les États membres de l’OMI. Elle pourrait même retarder l’adoption d’une mesure de tarification du carbone, considérée comme essentielle pour inciter les armateurs à décarboner et les indemniser pour l’utilisation de carburants à faible émission de carbone, bien plus coûteux.

Dans le communiqué final de l’OMI, son secrétaire général, Kitack Lim (dont le successeur sera élu le 18 juillet), souligne d’ailleurs que l’accord n’est pas l’« objectif final » mais « à de nombreux points de vue, le point de départ » de la décarbonation du shipping. « Le niveau d’ambition de l’accord est très inférieur à ce qui est nécessaire pour garder le réchauffement climatique planétaire sous 1,5 degré, et la formulation du texte est vague et non contraignante », déplore pour autant l’ONG Clean shipping coalition, à l’instar de nombreuses associations environnementalistes.

Néanmoins, pour les Européens, qui ont joué un rôle majeur durant cette semaine de négociation intense à Londres, il s’agit d’un pas important pour éviter un shipping à deux vitesses. Dans un communiqué, Catherine Colonna, la ministre de l’Europe et des Affaires étrangères et Hervé Berville, secrétaire d’État chargé de la mer, « saluent cet accord qui constitue un succès indéniable ». Grâce à cet accord adopté à l’unanimité, y compris par les îles du Pacifique qui avaient les positions les plus fermes, le monde entier se rapprochera de l’ambition de l’Union européenne et du Royaume-Uni, qui ont déjà adopté tous deux un mécanisme de taxe carbone.

« Les deux prochaines années seront cruciales »

Le shipping, qui représente environ 3 % des émissions mondiales, n’est pas intégré à l’Accord de Paris en raison de son caractère transnational. Le paquebot OMI, jugé lent et opaque, a bougé comme jamais.

Cet accord « marque un nouveau départ pour la transition énergétique du transport maritime, avec des objectifs et un calendrier clairs, a aussitôt réagi par communiqué John Butler, le président du World shipping council (WSC), l’association internationale des armateurs de ligne régulière (conteneur et roro). Le transport maritime de ligne investit déjà dans des navires prêts pour les carburants renouvelables, et la décision d’aujourd'hui envoie un signal mondial fort en faveur de l’investissement à l’ensemble du secteur maritime. » Le WSC ajoute toutefois que « les deux prochaines années seront cruciales pour que les objectifs de 2050 soient réalisables ».

Thibaud TEILLARD

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